Balance ton Cannes
- Antoine Gros
- 7 mai 2024
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 mai 2024
Comment appelle t-on un rassemblement d'aveugle ?
Un festival de cannes
Du 14 au 25 mai, se tiendra à Cannes le légendaire Festival de Cannes. Comme vous le savez probablement, c’est l’un des principaux événements mondiaux du cinéma, avec les Oscars ou encore la Mostra de Venise. Contrairement à ce dernier, le Festival de Cannes n’est pas ouvert au grand public, et les professionnels sont les seuls à y participer. Acteurs, producteurs, réalisateurs, mais aussi journalistes, influenceurs et autres grands noms sont en effet les seules personnes à pouvoir y prendre part. Cependant, depuis quelques années, le festival a légèrement revu ses critères de participation, afin d’ouvrir (un peu) ses portes au commun des mortels. En plus de proposer une accréditation “Cinéphiles” pour les étudiants en cinéma et futurs noms de l’industrie cinématographique, le Festival a également mis en place depuis 2018 son programme “3 Jours à Cannes”. L’objectif étant de permettre à un nombre réduit de jeunes entre 18 et 28 de participer pendant 3 jours au festival, sous réserve de présenter une candidature montrant un intérêt particulier pour le médium et le festival.
Prendre part pendant 3 jours aux festivités, voir des films dans des conditions optimales, et découvrir de l’intérieur un événement mythique ? L’occasion rêvée pour la rédaction de Tiens, tiens… : ce serait d’une part une formidable expérience, et de l’autre l’occasion de concocter un article parlant de ce séjour à Cannes.
Seulement, le jury du comité d’accréditation du programme “3 Jours à Cannes” en a décidé autrement, et n’a pas souhaité de nous au festival…
Puisque nous l’avons pris comme une attaque personnelle, nous avons décidé à la rédaction de ne pas changer nos plans, et de tout de même parler de cet événement. Cependant, puisque nous sommes dorénavant des haters du Festival de Cannes, nous avons décidé de changer l’orientation de notre article : initialement prévu comme un récit de nos péripéties cannoises, tout en racontant l’historique du festival, nous avons décidé de parler des différentes controverses et scandales liés à cet événement. Car derrière le strass et les paillettes, le Festival de Cannes, autrefois appelé Festival International du Cinéma, a en réalité connu bien des déboires au fil des années. Et au-delà des choix parfois catastrophiques des jurys pour les récompenses, que la décence et la bonne foi nous forcent à ne pas évoquer, le festival n’est finalement peut-être pas l’endroit magique qu’il prétend être.
Tiens, tiens… est ravi de vous présenter, en quelques événements clés, la face sombre du très célèbre Festival de Cannes : vous nous connaissez, et vous savez que comme à notre habitude, nous avons été le plus objectif possible pour la rédaction de cet article. Mauvaise foi et exagération n’ont bien entendu pas leur place dans cet article !
“Suis un trouillard” - 1955 : Le Festival de Cannes ne brille pas pour son engagement politique…
Commandé par le Comité d’histoire de la Seconde Guerre Mondiale à l’occasion du dixième anniversaire de la libération des camps de concentration, Nuit et Brouillard est un court-métrage français d’Alain Resnais sorti en 1956. Le film est composé d’images d’archives et de scènes tournées pour l’occasion, le tout montrant la façon dont les camps de concentration fonctionnaient, de manière froide et rationnelle. Nuit et Brouillard est réalisé avec 10 ans de recul sur les événements, et se veut ainsi un barrage contre le négationnisme, tout en servant de rappel sur les atrocités qu’entrainent l’antisémitisme et le racisme en général. La qualité du projet lui vaut une place dans la sélection française de la 8ème édition du festival. Cependant, l’ambassade d’Allemagne, voyant d’un mauvais œil le film, intervient auprès de l’organisation pour faire retirer le court-métrage de la sélection. Et au lieu de défendre le court-métrage et son réalisateur, le Festival de Cannes accepte le retrait de Nuit et Brouillard de la sélection… En résumé, le festival, qui se veut être à l’époque le “Festival International du Cinéma” accepte d’invisibiliser le travail de mémoire d’Alain Resnais et son équipe, au lieu de justement défendre son court-métrage contre la censure que l’on voudrait lui appliquer. Une décision qui déjà à l’époque avait fait scandale…
“Mai qui a gagné ?” - 1968 : Le Festival de Cannes ne décerne aucun prix…
En mai 1968, la France est secouée par une vague de manifestations et de grèves, en raison des divers problèmes sociaux et économiques de l’époque. Le pays est presque paralysé, mais le comité organisationnel du Festival de Cannes décide quand même de maintenir sa 21ème édition. Si cela montre déjà une certaine déconnexion de ces gens vis-à -vis du quotidien français, la suite est encore pire. Car si le festival doit toujours avoir lieu, ce n’est pas au goût de plusieurs réalisateurs français, parmi lesquels François Truffaut, Jean-Luc Godard ou encore Claude Lelouch qui eux souhaitent voir l’annulation du festival, en soutien aux grévistes. Ce souhait de ne pas voir de festival cette année est également partagé par des réalisateurs étrangers, puisque le réalisateur espagnol Carlos Saura milite vivement pour l’annulation du festival. Plus celui-ci avance, et plus les grèves s’intensifient, à tel point qu’il n’y bientôt plus de train pour venir à Cannes, tous les cheminots faisant grève. Malgré tout cela, le festival est maintenu par ses organisateurs. Les débats et échanges sur l’annulation ou non du festival sont plus intenses que jamais, à tel point que Carlos Saura ira jusqu’à s’accrocher aux rideaux de la salle pour empêcher la projection de son film en sélection, Peppermint Frappé. Finalement, le retrait de plusieurs films de la sélection par leur réalisateurs eux-mêmes, comme Miloš Forman ou Alain Resnais (qui n’est définitivement pas l’ami du festival), ainsi que la démission de plusieurs membres du comité en soutien aux grévistes amènent Robert Favre Le Bret, le président du festival, a enfin annoncé la clôture précoce de la 21ème édition du festival. Le choix, qui aurait dû être fait dès le début, implique que pour cette édition, aucun prix ne sera délivré. Du temps perdu, à cause de personnes éloignées des priorités des Français, en plus de donner une mauvaise image au festival… La honte…
“Sale temps pour l’apocalypse” - 1979 : La présidence du festival fait pression sur le jury pour la Palme d’Or
En 1979, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola remporte ex aequo la Palme d’Or aux côtés du film Le Tambour, réalisé par Volker Schlöndorff. Ce n’est pas la première fois que ce prix est attribué à deux films, mais la révélation quelques mois plus tard de Françoise Sagan, présidente du jury de la 32ème édition du festival, va faire de cette décision l’une des plus grosses controverses de l’histoire du festival. Selon elle, c’est la direction du festival elle-même qui est à l’origine de la victoire de Apocalypse Now. En effet, malgré les nombreuses qualités reconnues du long-métrage américain, Françoise Sagan n’est pas convaincue par le film, et souhaite voir Le Tambour remporter le prix. Elle arrive même à convaincre le reste du jury, puisque les votes préliminaires placent le film de Schlöndorff en tête pour la Palme d’Or. Cependant, lors de la soirée suivant le vote préliminaire, Robert Favre Le Bret (encore lui), fait pression sur les différents membres du jury afin qu’ils revoient leur vote. Selon lui, il est important de faire remporter la Palme d’Or à Apocalypse Now pour des raisons stratégiques de visibilité à l’international et d’intérêts commerciaux et diplomatiques, afin d’inciter les gros studios américains à venir aux prochaines éditions pour y présenter leurs productions. Le résultat de cette pression exercée par la direction du festival est sans appel : Apocalypse Now est désigné presque à l’unanimité comme le gagnant de la Palme d’Or lors du vote final. Françoise Sagan, qui désapprouve totalement les machinations du festival, quitte la salle avant la fin des débats. Pour éviter que l’affaire ne fasse scandale, un compromis est finalement proposé à la présidente du jury : faire de son favori Le Tambour le gagnant ex aequo avec Apocalypse Now en échange de sa discrétion sur le contexte du vote. Cela ne l'empêchera pas de dévoiler les dessous de l’affaire quelques mois plus tard. Cette histoire est d’autant plus source de scandales qu’il était en théorie interdit à l’époque pour un réalisateur d’obtenir 2 Palmes d’Or, et que Coppola avait déjà reçu 5 ans plus tôt le prix pour Conversation secrètes. Cela signifie que cette Palme d’Or, attribuée en magouillant et en exerçant une pression sur le jury, est dès le départ injuste. Le réalisateur américain ne se leurre pas et considère sa récompense comme une “demi-palme”.
“Tarantino n’hausse pas le ton mais lève le majeur” - 1994 : Quentin Tarantino fait un doigt d’honneur à l’assemblé
Le 23 mai 1994, lors de la cérémonie de remise des prix de la 47ème édition du Festival de Cannes, c’est le réalisateur américain Quentin Tarantino qui reçoit la Palme d’Or pour son second long-métrage, Pulp Fiction.
Mais cette victoire n’est pas du goût de tous, le film étant jugé vulgaire et violent par une bonne partie de la salle, qui n’hésite pas à huer le jeune Américain alors qu’il monte sur scène pour récupérer son prix. Une femme du public, agacée par la défaite de son favori Soleil trompeur, de Nikita Mikhalkov, n’hésite pas à invectiver le lauréat : “Quelle daube ! Non mais quelle daube !” hurle-t-elle. En guise de réponse, Tarantino lui adresse simplement son majeur. Un geste qu’il ne cherche même pas à cacher puisqu’il l’accompagne d’un grand sourire. La polémique engendrée n’aidera pas à faire passer la pilule aux détracteurs du film…
Clint Eastwood, le président du jury cette année-là, racontera quelques années plus tard que la décision de la Palme d’Or s’est faite à l’unanimité : “excitant et rafraîchissant” le film a convaincu tous les membres du comité.
Mais qu’a à se reprocher le festival ici ? Absolument rien, mais je vous l’ai dit, on est des haters maintenant !
Toujours est-il que Tarantino a su se faire une place à Cannes, puisque 10 ans plus tard, en 2004, c’est lui qui sera président du jury pour la 57ème édition du festival.
“Cannes en a marre de Sophie” - 1999/2005/2015 : Le triplé de Sophie Marceau
En 1999, pour la cérémonie de clôture du 52ème Festival de Cannes, Sophie Marceau est chargée de remettre la Palme d’Or aux frères Dardennes pour leur film Rosetta. Cependant, celle qu’on a découvert dans La Boum avait probablement dû la faire, la boum, à voir son discours confus et sans queue ni tête…
"Il y a, il y a, enfin bon j’m’embrouille, mais…, j’vais y arriver, euh, il y a tous ces films, euh… qui sont… euh… qui sont là ce soir et qui ont été, euh… euh… vus... En tout cas, je serai, euh, très heureuse pour le bienheureux qui aura ce soir cette, cette Palme d’or et qui nous rappellera, euh…”
Merci Sophie, je pense qu’on peut s’arrêter là…
En 2005, alors qu’elle monte les marches pour assister à la projection de La Vérité Nue, d’Atom Egoyan (et le titre est prémonitoire, vous allez voir), l’une des bretelles de la robe de Sophie glisse, laissant l’espace d’un instant dépasser l’un de ses seins. Rien d’alarmant, ce n’est pas si grave ? Oui et non. Non ce n’est pas grave, contrairement à ce que la polémique créée par cet événement voudrait nous faire croire. Oui c’est grave, quand on apprend, bien qu’elle le réfute, que Sophie Marceau aurait fait exprès, pour s’attirer un peu de buzz…
Mais ce n’est pas fini, puisque rebelote en 2015, à l’occasion de la montée des marches pour la projection de Mad Max : Fury Road, de George Miller. Sophie Marceau porte pour l’occasion une robe très échancrée, à tel point que l’espace d’un instant, elle laisse apercevoir sa culotte… Encore une fois, rien de grave en soi, mais simplement une envie de buzz un peu ridicule.
Ces trois interventions de la star française sont, un peu comme l’anecdote précédente, des sources de polémiques un peu stupides, qui font passer encore une fois le Festival de Cannes pour un truc de bouffon (et ils ont déjà pas besoin de ça…).
“Non là carrément j’ai même pas de blague” - 2014 : Sans commentaire
En 2014 sort le film Welcome to New York, réalisé par Abel Ferrara, qui revient sur l’affaire Dominique Strauss-Kahn. Bien que le film ne soit pas officiellement présenté au festival, le rôle principal du film, qui interprète l’affreux DSK, est à Cannes pour promouvoir officieusement le long-métrage. L’acteur ? Gérard Depardieu…
L’occasion parfaite pour rappeler que le festival, en tant qu’entité représentant le cinéma français, n’a jamais pris la parole pour défendre les femmes accusant l’acteur d’agression sexuelles, alors même que l’acteur est présent sur le walk of fame cannois…
Et si vous souhaitez me faire part de vos remarques sur la présomption d'innocence, je sens que la prochaine anecdote ne va pas vous plaire…
“Bad buzz pour Woody” - 2016: La blague de Laurent Lafitte à Woody Allen n’est pas du goût de tous
En 2016, Laurent Lafitte, qui anime la cérémonie d’ouverture de la 69ème édition du Festival de Cannes, profite de son temps de parole pour faire quelques blagues, parmi laquelle une qui fait l’effet d’une petite bombe dans l’entre-soi de Cannes, et même au-delà, puisque la presse américaine en parlera dès le lendemain. Alors qu’il s’adresse à Woody Allen, présent à Cannes pour y présenter en ouverture de festival son nouveau film Café Society, il lui fait la remarque suivante : “Ces dernières années, vous tournez beaucoup en Europe alors que vous n'êtes même pas condamné pour viol aux Etats-Unis…”. Allusion évidente au réalisateur franco-polonais Roman Polanski, qui ne travaille plus aux Etats-Unis suite à sa condamnation pour viol sur mineur et aux différentes accusations d’agressions sexuelles qui lui ont été faites. Une blague qui était déjà en soi un événement, tant le monde du cinéma est un endroit où il est difficile de faire entendre la voix des victimes dans ce genre d’histoires (et encore plus quand il s’agit d’accusations faites envers des hommes). Cependant, la blague est en fait bien plus incisive puisque le matin même de la cérémonie, Ronan Farrow, le fils de Woody Allen publiait dans le Hollywood Reporter une tribune mettant une lumière les accusations de violences sexuelles de Woody Allen envers sa fille adoptive Dylan Farrow, âgée de 7 ans au moment des faits.
En prenant en compte cela, la petite pique de Lafitte se transforme en véritable bombe, et le regard médusé de Woody Allen est finalement la réponse la plus satisfaisante possible…
Vous l’aurez compris, le Festival de Cannes et la mise en lumière des comportements problématiques, ça ne va pas de pair… Et pour ne pas finir sur une anecdote du même style, qui ne fait que montrer la culture du silence et l’impunité qui règne à Cannes et dans le monde du cinéma en général, nous n’allons volontairement pas évoquer la réhabilitation honteuse de Johnny Depp en 2023 à l’occasion du 76ème Festival de Cannes…
“Le dress-code : le talon d’Achille du festival” - 2016 (oui encore !) : Julia Roberts fait scandale
À Cannes, l’allure, c’est important ! Le dress-code est strict, et s'applique à tout le monde : smoking et chaussures noires pour les hommes, robe de soirée et talons pour les femmes. Pour ne pas choquer, tout le monde s’applique à le respecter méticuleusement… Sauf Julia Roberts, qui du haut de ses 48 ans, s’est dit qu’elle allait marquer l’occasion pour sa toute première montée des marches, à l’occasion de la projection de Money Monster, réalisé par Jodie Foster et dans lequel elle partage l’écran avec George Clooney. Si elle portait bien une robe (une Armani d’ailleurs), elle n’avait cependant pas les chaussures adéquates… Puisqu’elle n’en avait tout simplement pas. Bien entendu, sur le moment, personne n’a osé lui faire de remarque, et la star américaine a gravi les marches sans problèmes, mais dès le lendemain, “l’affront” de Julia faisait déjà le tour de tous les tabloïds…
Encore une fois, le festival se fait remarquer pour des raisons ridicules, des caprices de chouineurs… Bien fait !
Pour finir, puisque le festival n’a pas voulu de nous, je n’ai qu’une chose à dire, et je me permet ainsi de citer Maurice Pialat, qui en 1987 s’adresse à l’assemblée de Cannes :
“Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus !”
