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Heat : Le chef d’œuvre de Michael Mann

Dernière mise à jour : 30 juin

Extrait de Tiens, tiens... N°3


Heat : Le chef d'œuvrede Michael Mann

C’est dans l’obscurité du petit matin, partagée entre la grisaille de la ville de Los Angeles, et les lueurs bleues des premiers rayons du soleil, que s’ouvre Heat, de Michael Mann. Long-métrage sorti en 1995 et pièce majeure de la filmographie de son réalisateur, il s’agit de l’un des meilleurs films policiers américains, à mi-chemin entre le polar noir et le thriller psychologique. Aujourd’hui encore, 30 ans après, il est l’un des représentants majeurs du film de braquage, et est souvent cité dans les classements des meilleurs films de tous les temps. Pour comprendre cette réputation, il est nécessaire de s’attarder sur ce que raconte Heat, mais aussi sur la façon dont il le fait, tant il s’agit d’un travail d'orfèvrerie.



Heat, c’est l’histoire éternelle du chat et de la souris, du policier et du voleur. C’est l’histoire de Neil McCauley, un braqueur incarné avec précision par Robert De Niro, que tente d’arrêter le lieutenant de police Vincent Hanna, joué par un Al Pacino au sommet de son art.

Après le braquage d’un fourgon de sécurité, prévu sans victime mais s’étant soldé par la mort de l’équipe de sécurité du fourgon, Neil cherche à se venger de Waingro, son nouvel associé responsable de la tuerie, tout en planifiant son prochain casse, celui d’une banque. Vincent, de son côté, enquête sur le braquage du fourgon, et va petit à petit remonter la piste de Neil et sa bande.



Au cours des 2h50 que dure le film, les deux hommes vont redoubler d’ingéniosité pour tenter d’arriver à leur fin, prenant part à un duel indirect où il ne peut fatalement y avoir qu’un seul gagnant. L’un veut faire un dernier gros coup, avant de tout arrêter, l’autre veut mettre derrière les barreaux un gangster chevronné. Et aucun des deux n’est prêt à s’arrêter avant d’avoir réussi, peu importe les sacrifices que cela implique. Cette détermination sans faille, qui motive autant qu’elle finit par détruire, c’est ce qui rapproche les deux hommes, que tout semble opposer. Si Neil pourrait paraître presque sympathique dans la première moitié du film, il devient de plus en plus clair à mesure que l’étau se resserre qu’il est finalement prêt à tout pour arriver à ses fins. De la même manière, Vincent se donne corps et âme à son métier, qui lui a déjà coûté deux mariages et pourrait bien provoquer un troisième divorce, et va tout faire pour arrêter Neil, quitte à flirter avec le moralement répréhensible. Des personnages clairement étiquetés comme bon et mauvais, qui sont néanmoins bien plus nuancés qu’il n’y paraît.


En conclusion de cette traque acharnée, les deux hommes se retrouvent enfin sur le tarmac de l’aéroport de Los Angeles, dans un duel dont on sait d’avance qu’il est impossible que les deux ressortent vivants. Épilogue magistral, ce face à face ultime est la conclusion d’une montée en puissance démarrée trois heures plus tôt, et met un point final à l’affrontement de deux hommes que rien ne peut arrêter. Mais cette scène finale, grandiose et tragique, n’est pas la première rencontre entre McCauley et Hanna, puisqu’une autre scène, la plus iconique du film sans aucun doute, va confronter les deux hommes et leur vision du monde, à la moitié du long-métrage.



Alors qu’il connaît la culpabilité de McCauley, Hanna arrête ce dernier sur l’autoroute : n’ayant pas assez de preuve pour le faire condamner définitivement, il choisit de ne pas l’arrêter, et l’invite plutôt à partager un café avec lui, dans le diner d’à côté.

S’en suit alors une courte scène d’un peu plus de 5 minutes, filmée en champ-contrechamp, durant laquelle les deux personnages vont se confier l’un à l’autre, chacun admettant comprendre et respecter l’autre, mais être prêt à l’abattre sans douter s'il le faut. Ce moment, un instant de flottement dans cette traque acharnée, permet à chacun d’évaluer son adversaire, alors que Vincent se confie sur son métier, son addiction à l’adrénaline qu’il lui procure, et la façon dont il lui prend tout dans sa vie, son mariage notamment. Neil partage cette solitude, et se confie à son tour sur sa vie, et les conséquences qu’elle implique : comme il le dit lui même, en choisissant la vie de bandit, il faut rester libre, matériellement et émotionnellement, et être prêt à tout abandonner quand la tension monte.


"Don't let yourself get attached to anything you are not willing to walk out on in 30 seconds flat if you feel the heat around the corner."


Déterminés, Vincent et Neil sont les deux faces d’une même pièce, et pourraient, dans une autre vie, être à la place de l’autre. Dans ce diner, autour de ce café et malgré toutes leurs différences, ils sont plus proches que jamais. À mesure que la discussion avance, le cadrage se resserre sur leurs visages, plan après plan, tandis que la tension entre les deux monte. Aussi proches soient-ils durant cette scène, ils restent séparés par la déontologie de leur profession respective, symbolisée par le hors-champ dans cette scène : comme dans le reste du film, Hanna et McCauley ne partagent jamais l’image durant cet échange. Pivot central du film, confrontation légendaire, et démonstration de mise en scène, la scène du diner représente l’essence même de Heat, tout en servant magistralement bien le propos du film et son histoire.


Une histoire d’apparence simple, qui gravite autour de deux personnages principaux, agrémentée de nombreux personnages secondaires qui viennent densifier et développer le récit. Le premier que l’on voit dans le film, et sûrement le plus apprécié, est Chris Shiherlis, incarné avec brio par Val Kilmer. Ami et collègue de Neil, Chris est un homme impulsif, parfois violent, mais qui nous est sympathique, le sourire ravageur de l’acteur aux cheveux blonds et son amour pour sa famille y étant pour beaucoup. À l’inverse de Neil, qui choisi d’exercer ce métier sans aucune attache, Chris a en effet une femme et un fils, et malgré une relation parfois tumultueuse avec cette dernière, il souhaite avant tout pouvoir vivre avec eux. Personnage attachant et charismatique, qui réussit l’exploit de ne pas se faire éclipser par le duo Pacino/De Niro, il arrive même, en de rares occasions, à leur voler la vedette. La fin du film, le forçant à prendre des décisions aux allures de sacrifices pour lui, amène un nouveau point de vue sur l’activité que lui et Neil exercent, en remettant en cause la pertinence de ce mode de vie, sans pour autant amener une réflexion binaire et arrêtée sur le sujet. Chris Shiherlis est un personnage secondaire marquant, grâce à son écriture, mais aussi son interprète, qui contribue à apporter de la nuance et de la matière au film, à la manière du duo Justine et Lauren, respectivement la femme et la belle-fille de Vincent.

Justine, jouée par Diane Venora, est la troisième femme de Vincent, et nous est montrée comme une femme qui aime son mari, mais qui ne peut plus supporter son mode de vie : une façon de mettre en avant comment le travail de Hanna finit par lui coûter sa vie sentimentale. Lauren, incarnée par une Natalie Portman alors jeune actrice, est la fille de Justine, mais pas celle de Vincent : cela n’empêche pas cette dernière d’être très attachée à lui, et de souffrir de voir sa mère se séparer petit à petit de lui. C’est une façon qu’a le film de mettre la lumière sur la douleur qu’infligent à leurs proches des hommes comme Hanna ou McCauley, pour qui rien n’est plus important que leur métier. C’est le même principe avec le personnage de Eady, la petite amie de Neil, qu’il finit pourtant par faire passer après son propre intérêt, toujours fidèle à son mantra.



Les personnages secondaires sont nombreux et tous sont écrits avec justesse, de Waingro, psychopathe sadique campé par un Kevin Gage qui semble se faire plaisir à nous dégoûter, à Donald Breedan, un ancien détenu qui tente de vivre honnêtement ; ils apportent de la densité et de la profondeur au film, et transforment ce récit de jeu du chat et de la souris géant en une grande fresque moderne.


À l’image de ses personnages, Heat est une œuvre travaillée méticuleusement. Tout y est réfléchi et calculé, afin de plonger le spectateur au cœur de Los Angeles, aux côtés des personnages du film. La chose qui marque le plus, lors du visionnage du film, et peut-être ce qui revient en tête le plus facilement, c’est le travail effectué par Michael Mann et Dante Spinotti, le directeur de la photographie, sur les couleurs du long-métrage. La ville de Los Angeles nous est présentée à travers une palette de couleurs qui oscillent entre le bleu et le gris, qui lui donne un aspect impersonnel et renforce la dureté du film. Très sobre, la colorimétrie de Heat s’accompagne d’un travail remarquable sur l’utilisation de la lumière, souvent utilisée pour créer de forts contrastes à l’image, et renforcer la dualité qui existe entre les protagonistes, tout en créant une tension visuelle forte. L’utilisation récurrente de la lumière artificielle, en particulier celle des néons, accompagne l’idée de froideur et d’isolement que l’on peut retrouver dans le film et dans le caractère des personnages. En de rares occasions, des teintes plus chaudes sont utilisées, lors de moments plus intimes entre les personnages, notamment entre Vincent et Lauren. Au-delà du caractère esthétique, la colorimétrie de Heat participe à définir son identité, tout en soulignant la psychologie des personnages, et donne au film une atmosphère générale en adéquation avec son récit. Un travail de précision sur la photographie du film qui accompagne la réalisation millimétrée de Mann, qui explique qu’autant de scènes soient si marquantes.



Déjà évoquées précédemment, les scènes du diner et de fin sont des moments clés du film, mais ce ne sont pas les seuls : thème du grand banditisme oblige, Heat propose certaines scènes d’action parmi les plus marquantes du cinéma américain. Elles ne sont pas très nombreuses au regard de la durée du film, mais toutes les scènes d'action sont des exemples de réussite et d’expertise. La première du film a lieu dans les 15 premières minutes, et met en scène le braquage du fourgon blindé par l’équipe de Neil. Il s'agit de l'une des scènes les plus célèbres de Heat, en partie grâce aux masques iconiques que portent les personnages. Rapide, mais terriblement efficace, elle témoigne du savoir-faire de Mann en matière de montage et de cadrage, tout donnant le ton pour le reste du film. Témoin absolu de la maîtrise des environnements urbains de Michael Mann, la scène de fusillade à la sortie du braquage de la banque est la scène la plus impressionnante du film. Mettant en scène Neal et son équipe, tentant de fuir Vincent et la police, elle prend place en plein centre de Los Angeles, et offre un spectacle à couper le souffle. Composée de plans larges et de plans en mouvement filmés avec un stabilisateur, c’est une véritable plongée dans l’action, tournée de manière très réaliste, jusqu’au choix de ne pas mettre de musique durant la scène afin d’accentuer l’impact des coups de feu. Ayant nécessité 10 jours de tournage en raison de l’impossibilité de filmer en pleine journée, et un entraînement intensif de la part des comédiens, c’est un des moments les plus marquants du film, et assurément une démonstration technique de la part de Michael Mann et de toute l’équipe du film.


Avant même sa sortie, Heat est attendu : la raison principale est son casting, qui voit pour la première fois Robert De Niro et Al Pacino se partager l’affiche. Ils avaient bien tous les deux été, 21 ans plus tôt, dans Le Parrain II (Francis F. Coppola, 1974), mais ils jouaient chacun à une époque différente, et n’avaient donc jamais à proprement parler joué ensemble. Heat marque donc leur rencontre tant attendue, et la confrontation dont il est question dans le film est d’autant plus importante qu’il s’agit également de la rencontre entre ces deux monstres du cinéma américain. Le film sort donc dans un contexte particulier, et est déjà un événement en soi : s’il n’est pas forcément un immense succès commercial à sa sortie, la qualité incontestable du film participe ensuite à l’asseoir au panthéon des productions américaines, aux côtés de film comme Les Affranchis (Martin Scorsese, 1990), Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994) ou encore Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994), pour ne citer que des films sortis à la même époque.


Aujourd’hui, après 30 ans d’existence, Heat est indéniablement un film culte, qui a marqué son époque et son genre, grâce à une réalisation d’une précision exemplaire, une histoire brillamment écrite et un casting hors pair. À l’origine remake de son téléfilm L.A. Takedown (1989), Michael Mann a créé avec Heat quelque chose de grand, qui a su perdurer dans le temps et inspirer de nombreux créateurs et artistes. L’un des principaux exemples est évidemment The Dark Knight (Christopher Nolan, 2008), qui reprend la dynamique entre le bien et le mal instaurée par Heat, en la transposant dans l’univers de Batman. On peut également retrouver beaucoup de Heat dans Sicario (Denis Villeneuve, 2015), avec ses impressionnantes scènes d’action, et sa maîtrise de la tension tout au long du film. Des influences assumées, qui témoignent de l’impact qu’a eu Heat sur le monde du cinéma. Une influence qui va au-delà de cet univers, puisqu’on peut également la retrouver dans le monde du jeu vidéo, les créateurs des jeux Max Payne (Remedy Entertainment, 2001) ayant admis avoir été inspirés par la façon dont les dilemmes moraux sont mis en avant dans Heat, tandis que les scènes de braquages ont servi d’inspiration pour Grand Theft Auto V (Rockstar Games, 2013) de l’aveu des développeurs eux-mêmes. Heat est également cité dans de nombreux morceaux de musique, en particulier du rap américain et francophone, que ce soit Rohff dans TDSI (2001), Nas dans Ether (2001) ou SCH dans Fournaise (2021), preuve de son influence générationnelle.


Heat est un film dont le réalisateur connaît le potentiel, ce qui le poussera à en écrire une suite, sous la forme d’un livre rédigé en collaboration avec la romancière américaine Meg Gardner. Paru en 2022 aux États-Unis, puis un an plus tard chez nous, il sert à la fois de suite et de prologue au film original, et permet de creuser le passé des personnages du film, tout en apprenant ce qu’ils sont devenus par la suite. Très bon dans son genre, Michael Mann a prévu de l’adapter en film, sans pour autant qu’une date de sortie soit annoncée. Si très peu d’informations ont été données à ce sujet, des rumeurs évoquent des acteurs comme Adam Driver, ou Austin Butler, tandis que Mann confie travailler activement sur le projet. Un film que l’on attend donc patiemment, tandis que l’on relance avec joie le premier, tant c’est un plaisir de le visionner même après autant d’années.





 
 
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